Le double avantage des cellules T tueuses pour prévenir les métastases cancéreuses

Killer-T Cells Attack Lymphatic Vessels
Les cellules T tueuses attaquent les vaisseaux lymphatiques

Les cellules T tueuses (en vert) attaquent les vaisseaux lymphatiques (en rouge) des tumeurs et provoquent leur mort (marqueur de mort cellulaire en blanc). Crédit : UNIGE – Robert Pick / Stéphanie Hugues

Des scientifiques de l’Université de Genève mettent en évidence l’effet inattendu de certaines immunothérapies pour prévenir les métastases du cancer.

Les tumeurs s’appuient sur une structure spécifique, le stroma tumoral, pour se développer. Celui-ci comprend des vaisseaux sanguins, qui fournissent les nutriments nécessaires à la multiplication des cellules malades, ainsi que des vaisseaux lymphatiques, par lesquels elles migrent pour former des métastases. La formation de vaisseaux lymphatiques – un mécanisme connu sous le nom de lymphangiogenèse – dans et autour d’une tumeur est donc de mauvais pronostic.

Une équipe de scientifiques a démontré comment les cellules T “tueuses” utilisées en immunothérapie pour éliminer les cellules cancéreuses peuvent également détruire les vaisseaux lymphatiques des tumeurs, réduisant ainsi considérablement le risque de métastases. L’exploitation de cet effet synergique pourrait augmenter l’efficacité des traitements contre les cancers où la lymphangiogenèse est importante, comme le cancer colorectal, le mélanome ou le cancer du sein. Ces résultats des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) peuvent être lus dans la revue Science Advances.

Cellules T tueuses (également appelées cellules T cytotoxiques ou lymphocytes T cytotoxiques) sont un type de cellules immunitaires capables de tuer certaines cellules, telles que les cellules étrangères, les cellules cancéreuses et les cellules infectées par un virus. Les lymphocytes T tueurs peuvent être isolés des autres cellules sanguines, cultivés en laboratoire, puis administrés à un patient pour tuer les cellules cancéreuses. Un lymphocyte T tueur est un type de globule blanc et un type de lymphocyte.

Le système lymphatique est la principale voie de propagation des cellules cancéreuses dans l’organisme. Elles colonisent d’abord les ganglions lymphatiques sentinelles, puis se déplacent pour donner naissance à des métastases secondaires ailleurs dans le corps. Cependant, les thérapies visant à bloquer la lymphangiogenèse tumorale ont jusqu’à présent été décevantes. “En effet, elles représentent aussi la voie de sortie de certaines cellules immunitaires, les cellules dendritiques, pour sortir de la tumeur et activer les cellules T tueuses anti-tumorales”, explique Stéphanie Hugues, professeure associée au Département de pathologie et immunologie et au Centre genevois de recherche sur l’inflammation de la Faculté de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces travaux. “Nous devons donc trouver un équilibre afin d’inhiber ce mécanisme sans le bloquer complètement, et ainsi décrypter en détail son mode d’action.”

Identifier une cible unique

Pour ce faire, les scientifiques ont utilisé des lymphocytes T dits “tueurs” utilisés dans les protocoles d’immunothérapie. “Ces lymphocytes T sont des cellules immunitaires spécifiquement activées en laboratoire pour éliminer les cellules tumorales, avant d’être injectées aux patients”, explique Laure Garnier, maître de conférences dans le laboratoire de Stéphanie Hugues et premier auteur de ces travaux. “Ici, nous les avons injectés à des souris atteintes de mélanome. Et si, comme prévu, les lymphocytes tueurs ont détruit les cellules tumorales, ils ont également attaqué les cellules endothéliales lymphatiques qui tapissent les vaisseaux lymphatiques.”

En effet, la destruction des cellules cancéreuses conduit à la libération d’antigènes tumoraux. Ces petites parties cancéreuses sont alors capturées par les cellules endothéliales lymphatiques qui, devenues porteuses de marqueurs d’identification tumorale, sont également reconnues comme ennemies par les lymphocytes T qui les attaquent. Ce mécanisme perturbe donc le système lymphatique associé à la tumeur afin de réduire considérablement le risque de métastases sans le bloquer entièrement.

L’équipe de recherche a confirmé ces résultats avec d’autres approches, comme la vaccination, qui vise à renforcer le système immunitaire. “Nous avons également observé la destruction des cellules endothéliales lymphatiques, et par conséquent une diminution des métastases ganglionnaires, limitant ainsi le risque de métastases secondaires. De plus, cette action n’ayant lieu que dans le microenvironnement tumoral, aucun effet systémique n’est à craindre”, souligne Laure Garnier.

Augmenter les synergies en choisissant les bonnes armes

Comment renforcer cet effet sans compromettre l’action des cellules immunitaires, qui ont besoin des vaisseaux lymphatiques pour pénétrer dans la tumeur ? Plusieurs options sont possibles, comme intervenir une fois l’immunité établie, ou en conjonction avec des protocoles thérapeutiques où le système immunitaire est si fort que la limitation de la lymphangiogenèse n’altérerait pas sa fonction. “Néanmoins, nos résultats montrent que l’approche la plus efficace consiste à utiliser des cellules T tueuses générées en laboratoire, et donc prêtes à attaquer, afin de contourner la première phase d’activation, qui peut s’avérer problématique”, précise Stéphanie Hugues.

Les immunothérapies restent complexes et ne sont utilisées que lorsque les traitements traditionnels ont fait leurs preuves.non concluantes. “Même si elles sont très prometteuses, ces thérapies ne sont pas des solutions miracles et provoquent souvent de graves effets secondaires. C’est pourquoi nous voulons comprendre les plus petits processus biologiques en jeu”, concluent les auteurs.

Référence : “IFN-γ-dependent tumor-antigen cross-presentation by lymphatic endothelial cells promotes their killing by T cells and inhibits metastasis” par Laure Garnier, Robert Pick, Julien Montorfani, Mengzhu Sun, Dale Brighouse, Nicolas Liaudet, Thomas Kammertoens, Thomas Blankenstein, Nicolas Page, Jeremiah Bernier-Latamani, Ngoc Lan Tran, Tatiana V. Petrova, Doron Merkler, Christoph Scheiermann et Stéphanie Hugues, 8 juin 2022, Science Advances.
DOI : 10.1126/sciadv.abl5162

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