La mort est tout sauf une entreprise en voie d’extinction, le capital-investissement s’en empare

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Les sociĂ©tĂ©s de capital-investissement investissent dans les soins de santĂ©, du berceau Ă  la tombe, et dans cette derniĂšre catĂ©gorie, littĂ©ralement. Un pourcentage faible mais croissant de l’industrie des pompes funĂšbres – et du marchĂ© plus large des soins de la mort – est en train d’ĂȘtre absorbĂ© par des entreprises financĂ©es par des capitaux privĂ©s, attirĂ©es par des marges bĂ©nĂ©ficiaires Ă©levĂ©es, des revenus prĂ©visibles et le dĂ©cĂšs Ă©ventuel de dizaines de millions de baby-boomers.

Le secteur des pompes funĂšbres est Ă  bien des Ă©gards une cible de choix pour les fonds de capital-investissement, qui recherchent des marchĂ©s trĂšs fragmentĂ©s qui pourraient bĂ©nĂ©ficier d’une consolidation. En regroupant des chaĂźnes de pompes funĂšbres, ces entreprises peuvent rĂ©aliser des Ă©conomies d’échelle au niveau des achats, amĂ©liorer les stratĂ©gies de marketing et partager les fonctions administratives.

Selon les responsables de l’industrie, environ 19 000 salons funĂ©raires reprĂ©sentent une industrie de 23 milliards de dollars aux États-Unis, dont au moins 80 % sont dĂ©tenus et gĂ©rĂ©s par des particuliers – la plupart sont des entreprises familiales, avec quelques chaĂźnes rĂ©gionales. Les 20 % restants, soit environ 3 800 maisons, sont dĂ©tenus par des chaĂźnes de pompes funĂšbres, dont environ 1 000 appartiennent Ă  des sociĂ©tĂ©s de capital-investissement.

Les dĂ©fenseurs des consommateurs craignent que les sociĂ©tĂ©s de capital-investissement ne suivent l’exemple des sociĂ©tĂ©s cotĂ©es en bourse qui ont crĂ©Ă© de grandes chaĂźnes de pompes funĂšbres et augmentĂ© les prix pour les consommateurs. “Le vĂ©ritable maĂźtre qui est servi n’est pas la famille en deuil qui paie la facture – c’est l’actionnaire”, a dĂ©clarĂ© Joshua Slocum, directeur exĂ©cutif de la Funeral Consumers Alliance, une organisation Ă  but non lucratif qui cherche Ă  Ă©duquer les consommateurs sur les coĂ»ts et les services funĂ©raires.

Bien que les donnĂ©es sur les prix des services funĂ©raires ne soient pas facilement accessibles au public, les enquĂȘtes menĂ©es par les affiliĂ©s locaux de l’alliance ont rĂ©vĂ©lĂ© que lorsque des chaĂźnes cotĂ©es en bourse ou financĂ©es par des capitaux privĂ©s acquiĂšrent des salons funĂ©raires individuels, des hausses de prix ont tendance Ă  suivre.

À Tucson, en Arizona, par exemple, lorsqu’un propriĂ©taire local a vendu Angel Valley Funeral Home en 2019 Ă  Foundation Partners Group, soutenu par des fonds d’investissement privĂ©s, les prix ont augmentĂ© de 425 Ă  760 dollars pour une crĂ©mation, de 1 840 Ă  2 485 dollars pour une inhumation sans exposition ou visite, et de 3 405 Ă  4 480 dollars pour des funĂ©railles complĂštes et Ă©conomiques.

Dans la ville de Mesa, en Arizona, la vente de Lakeshore Mortuary à la chaßne de pompes funÚbres Service Corporation International, cotée en bourse, a entraßné une augmentation des prix pour une crémation de 1 565 $ en 2018 à 1 770 $ en 2021, pour une inhumation de 2 795 $ à 3 680 $ et pour des funérailles économiques de 4 385 $ à 5 090 $.

“Nous pensons que nos prix sont compĂ©titifs et raisonnables sur les marchĂ©s sur lesquels nous opĂ©rons”, a dĂ©clarĂ© un responsable de Service Corporation International dans un courriel.

Les dĂ©tails de ces augmentations de prix ont Ă©tĂ© fournis par Martha Lundgren, membre du conseil d’administration de la Funeral Consumers Alliance of Arizona. Elle a dĂ©clarĂ© que les acquisitions de maisons funĂ©raires ont conduit Ă  l’annulation des accords tarifaires nĂ©gociĂ©s au nom des consommateurs membres de l’alliance. En 2020, une crĂ©mation Ă  Adair Dodge Chapel Ă  Tucson coĂ»tait aux membres 395 $, soit prĂšs des deux tiers du prix standard de 1 100 $. Mais aprĂšs l’acquisition du funĂ©rarium par Foundation Partners Group, l’accord de prix pour les membres a Ă©tĂ© annulĂ©, et le prix d’une crĂ©mation directe est passĂ© Ă  1 370 dollars.

Les reprĂ©sentants de Foundation Partners Group ont dĂ©clarĂ© que les augmentations de prix reflĂštent en partie le prix plus Ă©levĂ© des fournitures, telles que les cercueils, ainsi que l’augmentation des coĂ»ts de la main-d’Ɠuvre. Mais la plupart des augmentations, ont-ils dit, reprĂ©sentent une Ă©volution vers un systĂšme de tarification plus transparent qui inclut les frais administratifs et de transport que les autres entreprises de pompes funĂšbres ajoutent plus tard.

“Nous ne profitons pas des gens qui sont lĂ  quand ils n’ont pas les idĂ©es claires”, a dĂ©clarĂ© Kent Robertson, prĂ©sident et directeur gĂ©nĂ©ral de l’entreprise. “Ce n’est tout simplement pas ce que nous sommes”.

Une grande vague de consolidation a eu lieu dans le secteur des pompes funĂšbres aux États-Unis Ă  la fin des annĂ©es 1980 et au dĂ©but des annĂ©es 1990, puis Ă  nouveau vers 2010, a dĂ©clarĂ© Chris Cruger, un consultant du secteur basĂ© Ă  Phoenix. Et les acquisitions ont atteint un rythme effrĂ©nĂ© au cours des deux ou trois derniĂšres annĂ©es. De nombreux investisseurs misent sur une hausse significative de la demande de services de soins funĂ©raires dans les annĂ©es Ă  venir, car les 73 millions de baby-boomers, dont les plus ĂągĂ©s auront plus de 70 ans, continuent de vieillir.

“Les donnĂ©es dĂ©mographiques sont Ă©videmment en faveur de tout le monde ici”, a dĂ©clarĂ© M. Cruger. Les maisons funĂ©raires ont dĂ©jĂ  des marges intĂ©ressantes, et les combiner en chaĂźnes pour partager les coĂ»ts administratifs pourrait augmenter encore plus les profits.

Pendant ce temps, de nombreux propriĂ©taires-exploitants de maisons funĂ©raires atteignent l’ñge de la retraite et n’ont personne dans la famille prĂȘt Ă  prendre la relĂšve. Une enquĂȘte menĂ©e en 2021 par la National Funeral Directors Association a rĂ©vĂ©lĂ© que 27 % des propriĂ©taires prĂ©voyaient de vendre leur entreprise ou de prendre leur retraite dans les cinq ans.

Le dĂ©sir de vendre, combinĂ© Ă  l’argent de l’investissement.qui se dĂ©verse dans le secteur, a fait grimper les prix des maisons funĂ©raires Ă  de nouveaux sommets. Avant que le capital-investissement ne s’intĂ©resse aux salons funĂ©raires, ceux-ci se vendaient trois Ă  cinq fois leur revenu annuel. “Maintenant, j’entends parler de sept Ă  neuf fois”, a dĂ©clarĂ© Barbara Kemmis, directrice exĂ©cutive de la Cremation Association of North America, un groupe commercial pour l’industrie de la crĂ©mation.

La valeur des salons funĂ©raires ne se limite pas Ă  leurs actifs physiques. Les directeurs de funĂ©rariums font souvent partie intĂ©grante de leurs communautĂ©s et ont Ă©tabli une bonne relation avec leurs voisins. Ainsi, lorsque des chaĂźnes d’entreprises acquiĂšrent ces maisons, elles changent rarement le nom et gardent souvent les anciens propriĂ©taires pour faciliter la transition.

Tony Kumming, prĂ©sident du NewBridge Group Ă  Tampa, en Floride, aide Ă  nĂ©gocier la vente de maisons funĂ©raires. Nombre de ses clients restent sceptiques Ă  l’égard des grandes entreprises et sont souvent prĂȘts Ă  accepter un prix infĂ©rieur pour vendre Ă  quelqu’un qui, selon eux, ne ternira pas leur rĂ©putation durement acquise. La plupart des anciens propriĂ©taires prĂ©voient de vivre dans la communautĂ© et ne veulent pas que leurs amis et voisins soient maltraitĂ©s. “Je ne dis pas que quelqu’un va prendre la moitiĂ© de ce qu’une autre entreprise offre”, a dĂ©clarĂ© M. Kumming. “Mais il y a deux Ă©lĂ©ments importants dans une vente maintenant : C’est l’argent et la bonne adĂ©quation.”

Il y a cinq ans, lorsque Robert Olthof a dĂ©cidĂ© de vendre le salon funĂ©raire de sa famille Ă  Elmira, dans l’État de New York, il a contactĂ© certaines des grandes chaĂźnes de salons funĂ©raires cotĂ©es en bourse. Mais alors que les reprĂ©sentants de plusieurs sociĂ©tĂ©s lui rendaient visite pour lui prĂ©senter leurs offres, M. Olthof s’est rendu compte qu’aucune des grandes chaĂźnes n’avait envoyĂ© quelqu’un connaissant le cĂŽtĂ© service de l’entreprise. “Ils ont envoyĂ© leurs comptables et leurs avocats”, se souvient-il. “Tout tournait autour des chiffres, des chiffres et des chiffres. Et je n’aimais pas ça.”

Au lieu de cela, Olthof a vendu Ă  Greg Rollings, un ancien directeur de pompes funĂšbres qui avait amassĂ© une chaĂźne privĂ©e de 90 sites de pompes funĂšbres dans le nord-est du pays. Rollings avait offert moins d’argent que les grandes chaĂźnes, mais il savait ce que c’était que d’ĂȘtre rĂ©veillĂ© Ă  2 h 30 du matin et d’enfiler un costume pour aller aider une famille en deuil. Il savait ce que c’était d’enterrer un enfant.

“Je ne peux pas mettre une valeur monĂ©taire sur ce que cela vaut vraiment de vendre Ă  une personne qui est elle-mĂȘme directeur de funĂ©railles”, a dĂ©clarĂ© Olthof. “Parce qu’à l’avenir, votre nom sera toujours sur la façade de ce bĂątiment.”

Victoria Haneman, professeur Ă  la facultĂ© de droit de l’universitĂ© Creighton, qui Ă©tudie le secteur des pompes funĂšbres, craint que la nouvelle propriĂ©tĂ© des entreprises ne soit dĂ©vastatrice pour les familles en deuil. “Ils ne se comportent pas comme des consommateurs normaux et rationnels”, dit-elle. “Ils ne font pas de bonnes affaires parce que la mort est considĂ©rĂ©e comme un moment inappropriĂ© pour faire de bonnes affaires.”

Pour la plupart des familles, les funĂ©railles seront l’une des plus grosses dĂ©penses qu’elles auront Ă  faire. Mais elles entrent souvent dans le processus de magasinage avec des troubles cognitifs dus au chagrin et sans savoir ce qui est coutumier ou appropriĂ©.

Seul un consommateur sur cinq se rend dans plus d’un salon funĂ©raire pour obtenir une liste de prix, selon une enquĂȘte rĂ©alisĂ©e en 2022 Ă  la demande de la Consumer Federation of America. Et les comparaisons en ligne sont pratiquement impossibles – une Ă©tude de la fĂ©dĂ©ration et de la Funeral Consumers Alliance a rĂ©vĂ©lĂ© que seuls 18 % des salons funĂ©raires qu’ils ont Ă©chantillonnĂ©s affichaient leurs prix sur leur site web. En consĂ©quence, les familles s’en remettent gĂ©nĂ©ralement Ă  l’expertise d’un seul directeur de funĂ©railles, qui a intĂ©rĂȘt Ă  leur vendre les options les plus chĂšres. Ainsi, les consommateurs peuvent ĂȘtre poussĂ©s Ă  acheter des forfaits pour des funĂ©railles Ă  cercueil ouvert qui incluent l’embaumement et d’autres services qui augmentent le coĂ»t et peuvent ĂȘtre inutiles.

“L’avenir est-il Ă  ce genre de cadavres conservĂ©s, embaumĂ©s, maquillĂ©s, maquillĂ©s ? Je ne sais pas si la rĂ©ponse est “oui””, a dĂ©clarĂ© Haneman. “Et je pense qu’il y a des investisseurs qui parient que ce n’est pas le cas”.

Foundation Partners Group en est un excellent exemple. Soutenue par la sociĂ©tĂ© de capital-investissement Access Holdings, la chaĂźne de pompes funĂšbres s’est orientĂ©e il y a cinq ans vers l’acquisition de pompes funĂšbres ayant un taux de crĂ©mation Ă©levĂ©. Les taux de crĂ©mation au niveau national n’ont cessĂ© d’augmenter au cours des deux derniĂšres dĂ©cennies, et prĂšs de 58 % des familles choisissent aujourd’hui la crĂ©mation plutĂŽt que l’enterrement en cercueil. Foundation Partners prĂ©voit que ce taux atteindra 70 % d’ici 2030.

La sociĂ©tĂ© a acquis plus de 75 entreprises dans des États Ă  forte concentration de crĂ©mation, notamment l’Arizona, la Californie, le Colorado et la Floride. La plupart de ces salons funĂ©raires organisent en moyenne un peu plus de 150 funĂ©railles par an.

Les salons funĂ©raires individuels “n’ont pas accĂšs aux budgets de marketing, ils n’ont pas accĂšs aux plans de sĂ©curitĂ© et de santĂ©, aux avantages sociaux et Ă  ces diffĂ©rentes choses”, a dĂ©clarĂ© Robertson, le PDG de Foundation Partners. “Et parce que nous avons la capacitĂ© de piloter le marketing et de faire d’autres choses, nous faisons Ă©galement passer cette entreprise de 150 appels Ă  peut-ĂȘtre 200 appels.”

Robertsona dĂ©clarĂ© que l’industrie des pompes funĂšbres est diffĂ©rente des autres secteurs dans lesquels les sociĂ©tĂ©s de capital-investissement pourraient envisager d’investir, la dĂ©crivant comme une vocation comparable Ă  celle de travailler dans les soins palliatifs. Foundation Partners a la chance que ses bailleurs de fonds comprennent la partie service du secteur, ainsi que les aspects financiers, a-t-il ajoutĂ©. “Les sociĂ©tĂ©s de capital-investissement ne sont pas nĂ©cessairement connues pour leur profonde compassion envers les gens. Elles sont plus connues pour leur rendement financier”, a-t-il dĂ©clarĂ©. “Obtenir les deux est vraiment important”.

Foundation Partners possĂšde Tulip Cremation, un service en ligne qui permet aux gens de commander une crĂ©mation en quelques clics – et sans avoir Ă  mettre les pieds dans un salon funĂ©raire. Tulip opĂšre actuellement dans neuf États oĂč Foundation Partners possĂšde des salons funĂ©raires. La sociĂ©tĂ© prĂ©voit que le service sera un jour disponible au niveau national.

Selon M. Haneman, des approches novatrices comme celle de Tulip font cruellement dĂ©faut dans le secteur des pompes funĂšbres, qui n’a pratiquement pas changĂ© en 100 ans. “Je trouve absurde que le coĂ»t moyen d’un enterrement soit de 7 000 Ă  10 000 dollars”, dit-elle. “Les gens ont besoin d’options moins coĂ»teuses, et c’est l’innovation qui nous y conduira”. Tulip facture moins de 1 000 dollars pour une crĂ©mation ; les cendres sont renvoyĂ©es par la poste aux familles.

D’autres services de crĂ©mation en ligne sont Solace Cremation, Smart Cremation et Lumen Cremation.

“L’investissement en capital privĂ© a le potentiel d’aller dans l’une des deux directions suivantes : Soit il va consolider le statu quo et faire monter les prix, soit l’objectif de l’investissement va ĂȘtre la perturbation”, a dĂ©clarĂ© Haneman. “Et la perturbation promet la possibilitĂ© de mettre sur le marchĂ© des processus plus abordables.”

KHN (Kaiser Health News) est une salle de presse nationale qui produit un journalisme approfondi sur les questions de santĂ©. Avec Policy Analysis and Polling, KHN est l’un des trois principaux programmes opĂ©rationnels de la KFF (Kaiser Family Foundation). La KFF est une organisation Ă  but non lucratif qui fournit des informations sur les questions de santĂ© Ă  la nation.

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