On connaît mal les effets sur la santé des microplastiques présents dans nos engrais et nos sols.

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La décision de Gazprom de fermer les robinets du Nord Stream 1 ce mois-ci a ébranlé le secteur industriel et manufacturier européen, les producteurs d’engrais étant les premiers concernés.

En effet, la production d’engrais de synthèse, qui sont fabriqués à partir de minéraux, de gaz de l’air et de déchets inorganiques, nécessite une énorme quantité d’énergie. Selon certaines estimations, le procédé Haber-Bosch, qui transforme l’azote et l’hydrogène en ammoniac, utilise entre 1 et 2 % de toute l’énergie mondiale produite annuellement. Rien qu’en Allemagne, la production d’ammoniac absorbe environ 4,5 % du gaz naturel utilisé par les industries.

Les engrais organiques

Alors, quelles sont les alternatives qui restent ? Les engrais organiques suivants pourraient représenter une solution pour alléger le fardeau de l’augmentation des coûts pour les agriculteurs et les consommateurs. Pesons le pour et le contre de ces produits.

  • Fumier. Utilisé par les agriculteurs pour augmenter le rendement des cultures depuis au moins le néolithique, le fumier est riche en nutriments primaires nécessaires à la croissance des plantes, tels que l’azote, le phosphore, le potassium et le carbone organique. Cependant, la crise alimentaire a accru la concurrence entre les agriculteurs qui cultivent des aliments pour animaux et des denrées alimentaires (par exemple, des céréales) pour les terres et pourrait nous obliger à réduire notre consommation de produits animaux (par exemple, la viande). La réduction de la taille des troupeaux devrait également réduire l’offre de fumier.

  • Boues d’épuration et compost. Sous-produits de la consommation et de la transformation alimentaire privée et industrielle, les boues et le compost peuvent remplacer une partie de l’azote et du phosphore des engrais de synthèse. Ils contribuent actuellement peu à l’alimentation des plantes en Allemagne, atteignant de 1% à 4% des nutriments demandés (voir tableau 1). Cependant, l’amélioration des processus de recyclage pourrait augmenter la production de biodéchets et de compost de 50% à moyen terme.

Graphique sur la quantité d'éléments nutritifs contenus dans les engrais organiques
Tableau 1 : Quantité d’éléments nutritifs contenus dans les engrais organiques par rapport à la demande d’éléments nutritifs dans la production agricole allemande. Les données représentent l’efficacité de la fertilisation. Conseil consultatif scientifique sur les questions relatives aux engrais (2015), Auteur fourni

Des engrais trempés dans des microplastiques.

Il y a cependant un hic. Ces dernières années, les recherches ont montré que les microplastiques s’infiltraient de plus en plus dans les engrais organiques et les sols agricoles, suscitant des inquiétudes pour l’environnement et la santé. Bien que ses effets soient encore en cours d’évaluation, certains des coupables connus sont les déchets sauvages et les particules abrasives provenant de l’usure des pneus. Les films plastiques disposés sur les cultures pour éviter les fluctuations de température ou l’évaporation de l’eau des sols, appelés films de paillage, sont également soupçonnés d’en émettre. Parallèlement, les engrais organiques, le compost et les boues absorbent les microplastiques des ménages et de l’industrie, ce qui représente une grande partie du problème.

La pollution par les microplastiques est à son comble dans les sols agricoles des régions urbaines, où les habitants produisent généralement de grandes quantités de boues et de compost pour les appliquer ensuite comme engrais organiques. En Allemagne, par exemple, le problème est particulièrement aigu dans l’ouest industriel du pays, la Ruhrgebiet, ou dans les grandes villes comme Hambourg ou Hanovre.


Superficie polluée par des microplastiques provenant de boues d’épuration (à gauche) et de compost (à droite), en proportion de la surface agricole utile (SAU) à forte intensité de fertilisation. Auteur fourni, Fourni par l’auteur

Impacts sanitaires et environnementaux des microplastiques : L’état de la recherche

La science sur les microplastiques en est encore à ses débuts. Les recherches qui ont été menées suggèrent qu’ils perturbent la structure des sols, libèrent des contaminants (par exemple, des plastifiants, des retardateurs de flamme, des stabilisateurs de lumière et de chaleur) et nuisent à la biosphère du sol.

On pense même que les microplastiques peuvent entrer dans les cultures et donc dans la chaîne alimentaire destinée à l’alimentation et à la consommation humaine. À ce jour, ils ont été retrouvés dans des moules et des poissons, des oiseaux, des mammifères marins et terrestres et oui, des êtres humains.

Des expériences menées en laboratoire (in vitro) ont confirmé certaines de ces intuitions. Dans un article de 2019, par exemple, des scientifiques ont saupoudré des microplastiques sur un sol contenant du ray-grass et des vers de terre, ce qui a entraîné la germination de moins de graines, des pousses plus courtes et une plus grande acidité du sol. Cependant, nous savons également que les scientifiques appliquent des concentrations de microplastiques plus élevées dans des conditions in vitro par opposition aux conditions naturelles (in vivo).

Il est donc particulièrement important pour les scientifiques de poursuivre les expériences in vivo, qui sont plus difficiles à réaliser que les expériences in vitro. En effet, il est particulièrement difficile de distinguer le sol des particules de microplastiques, tandis que les microplastiques sont aussi plus difficiles à distinguer que les particules in vitro.typiquement dispersés dans les sols en petites concentrations.

Quant à l’impact des microplastiques sur la santé, les scientifiques pensent qu’ils présentent des risques à trois niveaux : d’abord par les particules de plastique elles-mêmes, ensuite par la libération de polluants organiques persistants absorbés par les plastiques, et enfin par la lixiviation d’additifs présents dans les plastiques. La complexité de l’analyse de la combinaison infinie de tailles, de formes et de signatures chimiques des microplastiques fait qu’il existe actuellement peu de recherches sur leur impact sanitaire.

Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour mieux légiférer

Il est alarmant de constater que la législation environnementale, que ce soit au niveau allemand ou européen, n’a rien à dire sur le sujet, donnant ainsi aux agriculteurs un laissez-passer pour contaminer leurs champs.

Pour changer cela, il faudra d’urgence équiper les législateurs de meilleures recherches scientifiques. En attendant, les décideurs politiques, les agriculteurs et les citoyens peuvent prendre des mesures pratiques pour réduire notre dépendance aux engrais de synthèse dans le contexte de la guerre en Ukraine. La première consiste à relocaliser notre production alimentaire et à la rendre moins dépendante du commerce, comme l’Europe avait déjà commencé à le faire pendant la crise du Covid-19. Nous pouvons également commencer à améliorer les processus de recyclage des engrais organiques alternatifs pour remplacer les engrais de synthèse, conformément au plan de gestion des nutriments de l’UE, issu de sa stratégie d’économie circulaire.

En l’absence de toute mesure, la pollution microplastique continuera à s’accumuler dans nos écosystèmes et peut-être même dans les flux sanguins.

Martin Henseler, Ingénieur de recherche, Equipe d’Economie Le Havre Normandie, Université Le Havre Normandie

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